La semaine dernière, j’étais à Mongo, une petite ville à 400
kilomètres à l’ouest d’Abéché. C’est la capitale du Guéra, une région centrale montagneuse
du Tchad. C’est là que vivent les sept autres compagnons jésuites qui forment
la communauté jésuite à laquelle j’appartiens. Après plus de trois mois au
Tchad, il était temps que je les visite...
Pour mon retour, j’étais accompagné de Joël un jésuite
français de 78 ans. Il voulait venir dire au-revoir à Abéché où il avait été
curé de la paroisse pendant 10 ans mais qu’il avait dû quitter précipitamment
en février 2011 suite à un accident de la route. Comme nous avions prévu de
prendre le bus, nous nous sommes rendus au « parc des bus » de Mongo
vers 11h30, heure à laquelle on nous avait indiqué que les bus en provenance de
N’Djamena et à destination d’Abéché passaient. Nous avons jeté notre dévolu sur
le premier bus qui est arrivé.
En fait de bus, il s’agissait plutôt d’un camion transformé
en bus, dont le toit était couvert d'une épaisse couche de marchandises. Vous pouvez en juger par vous-mêmes … L’intérieur
était presque aussi comble : l’espace entre les sièges était rempli de cartons
et de bagages. J’avoue que j’ai hésité un instant avant de grimper dans l’engin
… Mais je me suis dit que c’était une bonne manière de faire l’expérience des
voyages comme la font beaucoup de Tchadiens.
En effet, si le confort n’était pas de première classe, le
pittoresque était au rendez-vous : à l’intérieur du bus c’était un joyeux
brouhaha. Les passagers, tout sourire de nous voir partager avec eux ce moyen
de transport, s’interpelaient par des blagues, les enfants couchés sur les
caisses ou les bagages riaient, dormaient ou pleuraient, bercés par les
secousses de la pistes …
Le voyage n’a pas duré longtemps. Après un peu plus d’une
heure et 40 kilomètres de route, le bus s’est immobilisé en pleine brousse.
C’était la panne ! La transmission vers les roues arrière avait lâché.
Nous sommes tous sortis du bus pour constater les dégâts, espérant que nous
allions repartir rapidement. Mais nous avons dû déchanter : au passage
d’un camion dans le sens inverse, le chauffeur nous a laissés là emportant avec
lui la pièce cassée vers Mongo. Pendant ce temps, le mécanicien récupérait à
l’ombre …
Les heures ont commencé à défiler. Pendant cette attente,
j’ai appris des autres passagers que ce n’était pas le premier arrêt forcé du
voyage : ils avaient déjà connu deux crevaisons et une panne sèche depuis
N’Djamena (à 500 km) qu’ils avaient quitté déjà 24 heures plus tôt. En me
montrant des grands bacs frigo sur le toit, l’un d’eux m’a dit :
« C’est du poisson que je voulais vendre à Abéché. Maintenant tout est sûrement
gâté. Ça sent déjà » … Il faut dire qu’en cette période de l’année, en
pleine journée, le mercure descend rarement sous la barre des 40 degrés.
Vers 16h30, il n’y avait toujours pas de nouvelles du
chauffeur. Plusieurs parmi les passagers étaient montés sur des camions qui
avaient accepté de les prendre. Nos réserves d’eau étaient épuisées. A chaque
véhicule qui passait, mes compagnons d’infortune se précipitaient pour demander
de quoi étancher leur soif, quelle que soit la qualité du liquide. Je n’avais
pas trop envie d’attraper une tourista et j’étais aussi un peu préoccupé pour
Joël, mon compagnon de voyage, qui patientait tranquillement dans le bus. Je me
suis donc dit qu’il était plus sage de revenir sur nos pas. Par la grâce de la
téléphonie mobile, j’ai pu appeler les compagnons de Mongo qui ont dépêché une
voiture pour venir nous chercher. Il était 18 heures quand nous avons laissés à
leur sort les autres voyageurs. Il y
avait toutefois une lueur d’espoir : le chauffeur venait d’arriver avec la
pièce réparée. Ils sont sans doute arrivés à Abéché au lever du jour le
lendemain.
Cette aventure me donne l’occasion de passer en revue
quelques moyens de transport du Tchad. A commencer par celui qui a reçu le
titre de « Ministre du Transport » : l’âne ! Je ne sais si
c’est parce qu’il occupe parfois la voie publique sans daigner la libérer ou si
c’est pour les innombrables services qu’il rend. Un peu des deux sans doute.
Sans lui, la vie serait différente au Tchad. C’est comme le journal « Tintin » :
on peut l’utiliser de 7 …
… à 77 ans !
Mais l’âne est surtout l’aide indispensable de la femme
tchadienne. Pour aller et revenir du marché (souvent en groupe d’ailleurs) …
… ou pour la corvée de l’eau, il est indispensable.
Quelqu’un m’a dit un jour : « Ici, si tu veux prendre une femme, tu
ne peux pas le faire si tu n’es pas capable de lui payer un âne ». Une
histoire de 75€ environ.
J’avoue que j’ai pas mal d’admiration pour cette
« pauvre bête de somme » comme nous le chantions chez les louveteaux.
Il semble avoir une colonne vertébrale à toute épreuve et ne pas éprouver de
rancune à ce qu’on le charge des fardeaux les plus lourds ou les plus
encombrants.
Bon, il n’est pas le seul quadrupède à rendre ce genre de
service. Le chameau – en fait plutôt le dromadaire (c’est lequel encore qui a
deux bosses ?) – n’est pas en reste …
C’est un animal très prisé. Pas seulement pour sa bonne
bouille. Mais parce que de sa démarche nonchalante, il transporte homme et
matériel à une vitesse de croisière appréciable dans les régions les plus
inhospitalière. Et tout cela sans devoir étancher sa soif pendant des jours et
des jours. La plupart du temps, ils sont la propriété des éleveurs d’origine
arabe. Je n’ai pas encore essayé cette monture, mais connaissant mon sens de
l’équilibre, je ne suis pas sûr que je sois fait pour elle.
Si on passe du côté des transports à moteur, la reine du
Tchad, c’est la moto. Elle est la plus populaire car elle permet de passer
presque partout et en ville elle envahit les rues, louvoyant parmi les
véhicules plus lourds. Savoir réparer une moto, c’est un atout important. C’est
le cas de Hafis que vous voyez ici. Ancien « enfant-soldat », le JRS
l’a accompagné pour la réunification avec sa famille et sa réintégration
sociale. Pendant 9 mois, il a suivi une formation de mécanicien, ce qui lui
permet aujourd’hui de gagner un peu d’argent. Comme il a choisi de poursuivre
ses études, cet argent lui permet de faire face aux frais scolaires.
A Abéché, la moto subit la concurrence du rackcha, son cousin à trois roues. C’est
lui le taxi officiel de la ville, reconnaissable à sa couleur jaune. Les
habitants de la ville, les femmes drapées dans leur pagne et les hommes dans
leur ample boubou, en sont très friands.
Pour les plus longues distances, il y a les bus, ceux dignes
de ce nom comme celui avec lequel j’ai finalement rejoint Abéché au lendemain
de mon voyage avorté dont je vous ai entretenu au début de ce message et les
camions transformés en bus que vous connaissez déjà. Mais les bus sont loin
d’aller partout et donc le camion « pur et dur » est souvent le seul
moyen de déplacement disponible, par exemple lorsqu’on est un petit commerçant
et qu’on veut aller vendre sa marchandise sur les marchés de la région.
La plupart du temps, les passagers s’installent au-dessus de
la cargaison et s’accrochent comme ils peuvent car cela secoue. Pour se
protéger des branches d’arbres et de la poussière, le turban est très utile.
Je vous en parle mais sans vraiment connaître, car nous
autres humanitaires avons la chance de bénéficier de facilités de déplacement
que n’a pas la majorité de la population. Pour les longues distances : l’avion
dont je vous ai déjà parlé auparavant. Si ce service des vols du Programme
Alimentaire Mondial n’existait pas, cela nous compliquerait drôlement la tâche.
Je ne vous apprends donc rien mais ça me permet de vous partager cette photo
sur la piste de Goz Beida où je me trouve en compagnie de deux membres du
JRS : Oumar que vous avez appris à connaître dans mon message précédent et
Zidane, non pas footballeur de son état mais superviseur des enseignants au
camp des réfugiés de Djabal.
Et pour les distances plus courtes, les véhicules 4 x 4. Le
modèle le plus recherché est celui que vous voyez sur l’image : ce n’est
pas le plus confortable, mais il peut embarquer jusqu’à 11 personnes sans
problèmes et c’est le champion des terrains les plus difficiles : les
zones à ornières et les zones ensablées.
En principe, il franchit tous les obstacles. Je dis bien
« en principe »… En saison des pluies (que je n’ai pas encore connue,
elle arrivera au mois de juillet ; j’ai emprunté cette photo), lorsque les
oueds asséchés deviennent des torrents impétueux, il peut être surpris !
Je ne pourrais pas terminer en passant sous silence notre
moyen de déplacement naturel, nos deux pieds. Il est loin d’être délaissé,
surtout dans les zones rurales. Lorsque je vais visiter les camps, je suis
souvent étonné de voir surgir des piétons au milieu de nulle part, dans des
paysages apparemment inhabités, comme celui-ci. Ce sont d’ailleurs souvent des
femmes avec leur enfant sur le dos, et les pieds nus. D’où viennent-elles et où
vont-elles ? Elles me rappellent notre condition de pèlerins, hommes et
femmes en marche, sur cette terre.
Bonne route à tous et toutes !
Au camp des réfugiés de Djabal, ce sont les tableaux noirs qui bougent ... |