lundi 20 février 2012

Déplacement auprès des déplacés

Au début du mois de février, j'ai passé une semaine avec l'équipe du JRS à Goz Beida. Goz Beida est la capitale de la région du Sila qui se trouve au Sud-Est d'Abéché. Dans le Sila se trouvent deux camps de réfugiés soudanais originaires du Darfour, où le JRS est présent comme à Iriba et Guéréda, mais c'est surtout une région où l'on compte de nombreux sites de déplacés tchadiens. Cette fois-ci, c'est grâce aux bons soins d'OCHA, l'agence des Nations-Unies qui s'occupent de la coordination de l'action humanitaire que je vous offre une vue géographique. Les petits triangles rouges renversés sont les sites de déplacés. Les petites tentes en bleu représentent les camps de réfugiés soudanais.

© OCHA

Lorsque j'ai atterri à Goz Beida, j'ai eu l'impression de me trouver dans un autre pays que celui que j'avais connu les semaines précédentes à Iriba et Guéréda dans le Nord. Vous pouvez le constater: on ne peut pas vraiment parler deforêt vierge - cela reste un paysage très sahélien - la végétation est déjà plus abondante dans cette zone. Du coup on se sent dans un environnement plus hospitalier. 

Goz Beida se situe dans un plateau entouré de petites montagnes, ce qui lui donne un charme presque alpin. L'oeil ne se perd plus au loin, mais trouve un horizon un peu plus proche où se fixer ... Cela fait du bien au petit belge que je suis, peu habitué aux espaces infinis.

La question des déplacés tchadiens n'est pas facile à appréhender. La plupart d'entre eux viennent de villages qui se trouvent non loin de la frontière soudanaise. En 2007-2008, le conflit du Darfour a eu des répercussions au Tchad. Les milices Janjawid qui bénéficient d'un appui sinon militaire au moins moral du gouvernement soudanais, et responsables d'une grande partie des massacres sur les populations du Darfour, ont commencé à faire des incursions meurtrières en territoires tchadiens attaquant les villages occupés par des personnes appartenant aux mêmes groupes ethniques que les Darfouris. Les habitants de ces villages ont fui, certains se regroupant près de petits centres urbains comme Goz Beida. On a compté au Tchad jusqu'à 200.000 déplacés en 2010. Aujourd'hui une partie d'entre eux commence à retourner, mais les conditions de sécurité (pour les biens et les personnes, mais aussi sécurité alimentaire et sanitaire) sont encore loin d'être idéales.

La situation des déplacés est par certains aspects moins enviable que celle des réfugiés soudanais. Bien sûr, ils ne sont pas étrangers. De fait, c'est en principe l’État tchadien qui devrait les prendre en charge, mais celui-ci est très défaillant. Le UNHCR se préoccupe de la protection (défense des droits et souci de leur sécurité) de ces personnes "en exil dans leur propre pays", mais il ne dispose d'aucun budget pour développer des programmes dans les sites de déplacés. Pendant un temps, le Programme Alimentaire Mondial distribuait des rations de nourriture dans les sites mais aujourd'hui, il ne le fait plus que pour les personnes vulnérables.


Comme dans les camps de réfugiés, le JRS apporte depuis plusieurs années un soutien à l’éducation des enfants dans plusieurs des sites de déplacés de la région de Goz Beida. Éducation primaire principalement …

[Une élève du site d'Arangou, à Kerfi, fait la lecture au tableau sous les yeux de Marie-Hélène, religieuse française, directrice du projet JRS d'éducation primaire dans les sites de déplacés]

... mais aussi éducation préscolaire. On a constaté en effet que les élèves du primaire venaient souvent en classe avec leurs petits frères ou petites sœurs qui leur avaient été confiés par leurs parents partis travailler au champ. Un phénomène toujours d’actualité dans les sites où le préscolaire n’existe pas comme le site des déplacés de Kerfi. Les enfants que vous voyez ici sont dans la classe de première primaire : un peu jeunes encore, avouez …


C'est pourquoi est venue la proposition de développer l'éducation préscolaire pour permettre aux "plus grands" de pouvoir se concentrer sur le cours quand ils sont en classe. Au préscolaire, on apprend à s'ordonner par rangées dans la classe …


... mais on commence aussi à compter et à écrire ses premières lettres en arabe …


… et à prononcer à haute voix les syllabes devant la classe.
C’est Sœur Sabine, volontaire JRS originaire de RDC, qui est la responsable du préscolaire. Vous la voyez ici en compagnie de Docteur, un de ses assistants, qui est notamment chargé de la distribution mensuelle  d’une ration alimentaire à chaque enfant. Une manière d’encourager les parents à envoyer leurs enfants en classe.

Avec l'équipe chargée du suivi de l'éducation primaire, nous nous sommes rendus dans la zone de Kerfi, distante de 45 km de Goz Beida.

C'est une zone "mixte" car aujourd'hui dans les sites de déplacés, on trouve aussi des "retournés" qui avaient quitté cette région en raison de l'insécurité et qui y reviennent progressivement maintenant (je vous avais bien dit que la situation des déplacés dans l'Est du Tchad est complexe ...).
Cette visite m'a permis d'assister à quelques cours. Certains se donnent dans des bâtiments "en dur" ...

... d'autres dans des salles de classe nettement plus précaires, où l'attention au professeur est moins aisée, avec le vent qui claque et la poussière qui vous remplit les yeux (j'en ai fait moi-même l'expérience).

La méthode d'enseignement est assez traditionnelle. Elle se base beaucoup sur la mémorisation et la répétition. Le professeur écrit au tableau, il fait la lecture  ...

... et les élèves, tour à tour, viennent au tableau répéter la lecture du professeur en pointant à la baguette les mots prononcés.

Pendant ce temps, les uns écoutent  ...

... d'autres prennent note sur leur ardoise ...

[je vous l'ai renversée pour que vous puissiez apprécier la calligraphie par vous même]

... ou sur leur cahier à même le sol, sur des nattes, lorsque les bancs manquent. Pas très confortable, je l'accorde.


Un des axes de l'intervention du JRS, c'est la formation des maîtres et leur supervision. Après la classe, un superviseur du JRS comme Zakaria que vous voyez ici, fait le point avec le maître dont il a écouté la classe pour l'aider à améliorer sa méthodologie d'enseignement. C'est utile et nécessaire car la plupart de ces maîtres ont très peu d'expérience.
Ces écoles sont ce qu'on appelle des écoles communautaires, c'est-à-dire prises en charge par la communauté locale, et pas directement par le Ministère de l'éducation nationale.
Moment très attendu : le paiement de la prime au début du mois
Les maîtres sont soit issus de la communauté même, surtout pour les arabophones, mais les professeurs francophones sont souvent de jeunes diplômés de l'école normale qui viennent d'une autre région du pays et qui sont envoyés par le Ministère pour quelques années pour y faire leurs "classes" (c'est le cas de le dire) tout en rendant service aux villages dans les zones plus reculées. Dans le cas des sites de déplacés, la contribution des parents est bien maigre car leurs ressources économiques sont limitées. Le JRS vient donc compléter cette contribution pour permettre aux maîtres de (sur)vivre.  

Actuellement, le JRS est en train de préparer son retrait progressif car il est difficile de trouver le financement pour ce projet, mais aussi parce que le gouvernement tchadien souhaite que d'ici peu on ne parle plus de déplacés : soit ils retournent dans leur village d'origine, soit ils s'installent définitivement là où ils se sont réfugiés. 

Du coup, nous mettons beaucoup l'accent sur la sensibilisation des associations de parents pour qu'elles développent des activités génératrices de revenus, comme un champ communautaire ou la fabrication de briques, qui leur permettront d'assumer eux-mêmes la charge de l'école. Mais, je dois bien l'avouer, c'est plus facile à écrire qu'à mettre en œuvre. Ici , vous voyez Souleymane, un des assistants du JRS, en grande conversation avec des parents et des maîtres.

Après la visite des classes, nous sommes allés rendre une visite de courtoisie au sous-préfet de Kerfi. Entretenir de bonnes relations avec les autorités locales est important, outre qu'il faut aussi les encourager à s'intéresser aux écoles et à s'y investir.

C'était jeudi, jour de marché à Kerfi. Un marché qui draine toute la population de la région ainsi que des commerçants qui viennent même du Soudan. On y trouve de la viande (ça manque rarement au Tchad) quelques fruits, des légumes, des épices, du textile, et les animaux des cheptels du coin : ânes, chèvres, chevaux, vaches, chameaux,...


Nous en avons profité pour refaire nos forces dans une petite échoppe,  autour d'un plateau abéchois : galettes de pain, viande de mouton grillée et des tomates au sucre! 


De quoi faire la grosse heure de route qui nous sépare de Goz Beida sans le ventre qui gargouille.
A une prochaine fois.


Christophe





 

1 commentaire:

  1. Merci Christophe pour tes news.
    On te suit d'étape en étape ...
    Ici la méchante vague de froid est passée, mais on supporte encore le pull et même un de brûler un peu de mazout (hors de prix).
    Courage et bénédictions, pour toi et toute ta (nombreuse) équipe.
    Philippe.

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